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Confier ses archives

Sommaire

 

1.            Confier ses archives : pourquoi ?

 

1.1.        L’intérêt collectif des archives privées

 

1.2.        Raisons personnelles

 

a)   Archives des personnes et des familles

 

b)    Archives des associations et organismes apparentés c)   Archives économiques

1.3.        Raisons matérielles a)      Déménagements

b)    L’encombrement

 

c)    Catastrophes naturelles

 

2.            Confier ses archives : à qui ?

 

2.1.        Quand on veut passer le relais a)       Dialogue avec les proches

b)    Ouverture vers l’extérieur

 

c)    Lorsque le service d’archives sollicite le don

 

2.2.        Le choix du lieu : l’exemple des archives départementales de Maine-et-Loire a)  Sa situation géographique

b)    Conditions matérielles

 

c)    L’image des archives départementales de Maine-et-Loire d)       Valorisation des archives

e)    Dimension humaine

 

3.            Confier ses archives : comment ?

 

3.1.        La relation avec l’archiviste

 

3.2.        Le don d’archives

 

a)   Modalités légales

 

b)    Pourquoi choisir le don ?

 

c)    L’après-don

 

3.3.        Le dépôt d’archives

 

a)   Modalités légales

 

b)    Pourquoi choisir le dépôt ?

 

c)    L’après-dépôt

 

Introduction

 

D’après l’article L. 211-2 du Code du patrimoine, « La conservation des archives est organisée dans l'intérêt public tant pour les besoins de la gestion et de la justification des droits des personnes physiques ou morales, publiques ou privées, que pour la documentation historique de la recherche. » Les services publics d’archives ont pour mission de conserver les archives quel que soit leur statut : archives publiques ou archives privées. L’entrée des archives publiques est bien cadrée, et se fait principalement via des versements obligatoires, aussi qualifiés « d’entrées par voie ordinaire. » Les archives privées empruntent la seconde voie, qu’on dit

« extraordinaire. » Ce qualificatif est révélateur des conditions d’entrées des archives privées, qui résultent d’une démarche volontaire de la part des propriétaires de ces archives. Étant considérées par la loi comme un bien meuble appartenant à une personne privée, elles sont soumises au régime de droit commun fixé par le Code

civil1.

 

Confier ses archives à un service d’archives publiques peut se faire par de multiples formes juridiques, avec transfert de propriété (vente, don, legs, dation), ou sans (dépôt). Il s’agit dans tous les cas d’une démarche très personnelle qui met en jeu le lien d’intimité entre un propriétaire et ses archives. Loin d’être automatique, nous pouvons nous interroger sur les raisons qui poussent certains à entreprendre une telle démarche. Pour cela, nous nous attarderons sur les modalités du don et du dépôt. Elles impliquent un dialogue préalable entre le propriétaire et le service qui reçoit les archives. De plus, ces transferts se font sans contrepartie financière de la part dudit service. Cela nous pousse à nous interroger sur l’existence d’autres formes de contreparties.

Le don est la modalité d’entrée extraordinaire la plus répandue2. En tant que telle, des travaux de recherches lui sont largement consacrée. Le dépôt d’archives y apparaît en filigrane, comme une phase moins avancée de cette démarche de transfert de propriété, dont la phase ultime est le don. Les différences entre le don et le dépôt sont donc rarement évoquées, et finissent par se confondre. Ces deux formes juridiques d’entrée extraordinaire participent-elles de deux démarches bien distinctes, ou de phases différentes d’une seule et même démarche ? C’est ce que nous avons cherché à comprendre en interrogeant des donateurs et déposants, ainsi que les archivistes qui les reçoivent.

Deux archivistes des archives départementales de Maine-et-Loire nous ont fait part de leur expérience de donataires et dépositaires : Mme Lydia Dosso en tant que responsable des archives privées, et M. Pascal Tellier en tant que responsable des fonds iconographiques. Un questionnaire m’a par ailleurs permis de recueillir les témoignages de cinq donateurs et trois déposants3. Ils ont confié aux archives départementales de Maine-et-Loire des pièces isolées (trois), un fonds cultuel, un fonds de famille (chartrier), un fonds d’érudit, ainsi que deux fo nds

d’entreprises (un architecte et un photographe)4. Ces archives font partie de la série J, dédiée aux archives

 

 

 

 

 

 

1 Nougaret Christine et Éven Pascal,  Les archives privées, p.23.

2 Par exemple, archives départementales de Maine-et-Loire, « les dons constituent les trois quarts des archives privées conservées par le service ». Source : Master 2 « métiers des archives » de l’université d’Angers, Le don : une approche renouvelée des archives privées.

3 Nous les citerons de manière anonyme, ils seront qualifiés par leur profil, par exemple « répondant donateur

d’archives familiales ».

4 Voir annexe 2.

 

privées, ainsi que de la série Fi, consacrée aux fonds iconographiques. Loin d’être une étude exhaustive sur les donateurs et déposants, cette enquête nous a fourni un aperçu de la diversité des démarches et des liens unissant ces personnes et leurs archives. Pour ce faire, nous avons choisi de privilégier les questions ouvertes permettant au répondant de s’exprimer librement.

Nous nous pencherons dans un premier temps sur les raisons qui poussent des propriétaires d’archives à souhaiter les confier. Nous aborderons ensuite la question du choix du destinataire de ces archives. Ces préalables étant similaires pour le don et le dépôt, nous les étudierons conjointement. Nous évoquerons enfin la phase finale du choix entre ces deux modalités, pour en comprendre les enjeux et les différences.

 

1.  Confier ses archives : pourquoi ?

 

La volonté de confier ses archives semble résulter de manière récurrente d’un élément déclenchant, clairement identifié ou non par les donateurs et déposants. Nous allons tenter d’en détailler le mécanisme. Pour cela, nous allons notamment nous baser sur les travaux réalisés par l’axe « Archives, livres, manuscrits et autres supports d’information » (ALMA) du Centre de Recherches Historiques de l’Ouest (CERHIO)5. Il faut également signaler l’exposition réalisée par les archives municipales de Lyon en hommage à leurs donateurs, dont les témoignages filmés sont disponibles en ligne6. Les exemples cités ci-dessous en sont pour partie issus, d’autres étant tirés de l’enquête que nous avons réalisé.

 

1.1.   L’intérêt collectif des archives privées

 

Nous devons dans un premier temps nous attarder sur le statut des archives privées. En effet, leur perception comme telle par leur propriétaire apparaît comme un élément clé de leur volonté de les confier. Du point de vue des services d’archives, elles doivent relever d’un intérêt historique, scientifique, politique, économique ou artistique. De nombreux service d’archives mènent une politique de collecte d’archives privées qui passe par l’information autour de leur intérêt, notamment sur leur site internet7. C’est tout d’abord l’intérêt patrimonial des archives qui est mis en avant. Les écrits privés, en tant que source pour faire l’histoire, sont jugées dignes d’intérêt pour les services publics d’archives. Leur statut de complément des archives publiques est aussi mis en avant. Il n’y a en effet « pas d’histoire sans les témoignages de ceux qui y ont pris part »8. C’est donc à partir de ces critères que les archives privées deviennent des archives « d’intérêt public »9.

Pour comprendre comment leurs archives obtiennent ce statut, nous devons nous intéresser au point de vue des donateurs et déposants. Tout d’abord, nous pouvons citer les proches du milieu des archives. Il s’agit de personnes ayant utilisé personnellement les fonds disponibles dans les services d’archives pour des recherches, notamment généalogiques, érudites ou d’architecture10. Ces personnes sont donc à-même de saisir l’intérêt que représentent ces archives accessibles au public. Elles sont, par cela, en mesure d’identifier les écrits privés qu’elles possèdent comme des archives ayant un intérêt collectif.

Dans un second temps il faut noter le cas de ceux qui, conscients de l’importance de leurs archives dans

le cadre de leur activité, ne les considèrent pas pour autant comme d’intérêt public. C’est le cas d’une association qui a contacté les archives départementales de Maine-et-Loire dans le but d’obtenir des conseils quant à la destruction sécurisée d’archives. Au fil des échanges, l’archiviste responsable a réussi à faire prendre conscience

 

 

 

 

 

 

 

 

5 ALMA, Carnet de recherche de l’axe ALMA.

6 Archives municipales de Lyon, Pour la passion d’une ville. Nous avons choisi de suivre la méthode des archives municipales de Lyon en citant le nom des donateurs.

7 Voir annexe 8.

8 Archives départementales de la Lozère, Vous êtes un particulier, une association ou une entreprise. Vos archives font l'Histoire : faites-en profiter !

9  Master 2 « métiers des archives » de l’université d’Angers, Le don : une approche renouvelée des archives

privées.

10 Réponses à la question 12. Comment avez-vous connu le service ?

 

de leur intérêt hautement historique. Le fonds sera finalement déposé dans le service, moyennent des délais de communicabilité important qui garantissent la protection des données y figurant.

Enfin, nous pouvons nous arrêter sur le cas particulier des propriétaires de pièces isolées qui n’avaient, à l’origine, pas conscience de l’intérêt collectif des écrits qu’ils conservaient. Ainsi, une répondante nous apprend que sa volonté de confier ses archives a été déclenchée par « la visite d'une exposition aux Archives départementales sur "1942 en Anjou"11, avec des témoignages de simples citoyens et donc l'intérêt que pourrait

- éventuellement - présenter le journal de guerre de mon père pour les générations futures »12. Son témoignage met donc en évidence l’importance des actions de valorisation mises en œuvre par les services d’archives pour faire connaître au public le patrimoine qui y est conservé. Dans ce cas, c’est bien la valorisation qui a permis à des papiers de famille de s’élever au rang d’archives. En effet, contrairement aux habitués des archives, nombreux sont ceux qui ne considèrent pas comme d’intérêt collectif leurs écrits personnels et familiaux. Cette problématique est aussi celle de l’Association pour l’autobiographie et le patrimoine autobiographique (APA), qui revendique la valeur des écrits ordinaires. L’association collecte les écrits personnels, et les diffuse sans sélection préalable. Il faut toutefois rappeler que les services d’archives, contrairement à l’APA, ont des critères de sélection quant à la collecte d’archives privées.

Voir des archives privées comme d’intérêt collectif n’est donc pas automatique. Cela nécessite une prise de conscience préalable, souvent déclenchée par le contact avec des archives privées déjà conservées dans des services d’archives. Ce sont leur utilisation et leur valorisation qui leur confèrent ce statut. Considérer ses archives comme telles est donc un préalable indispensable à la volonté de les confier.

 

1.2.   Raisons personnelles

 

De nombreuses personnes ayant conscience de l’intérêt collectif de leurs archives n’entreprennent pas de démarches en vue de les confier à un organisme. D’autres enjeux sont donc en action dans cette démarche, et en sont mêmes considérés comme des « éléments déclenchants »13. Parmi eux, nous avons dégagé des raisons

« personnelles », c’est-à-dire qu’elles ont trait directement au propriétaire des archives. Bien que ces raisons

 

divergent de manière importante selon le type d’archives concernées, elles sont toutes motivées par la conscience d’une échéance qui peut être provoquée par un bouleversement concernant la personne ou le fonds. No us allons tenter de comprendre ces raisons et leur lien avec le type d’archives concernées. Pour cela, nous nous appuierons sur les grandes catégories d’archives définies par le manuel Les archives privées, édité par la Direction des archives de France14.

 

a)       Archives des personnes et des familles

Les archives personnelles et familiales représentent « les ensembles auxquels on songe d’abord lorsqu’on parle d’archives privées »15. Quoi de plus privé, en effet, que les documents produits par une personne physique ?

 

 

 

 

 

11 ARCHIVES DEPARTEMENTALES DE MAINE-ET-LOIRE, 1942 en Anjou, Angers, 16 septembre 2012-31 janvier 2013.

12 Réponse à la question 7. Quel a été l’élément déclenchant votre volonté de confier ces archives ?

13 Grailles Bénédicte, Les raisons du don, p.44.

14 Nougaret Christine et Éven Pascal,  Les archives privées, p.28-34.

15 Nougaret Christine et Éven Pascal,  Les archives privées, p.28.

 

Ceux-ci appartiennent à leur producteur, puis à ces descendants. Ce sont donc souvent des événements de leur vie intime qui déclenchent la volonté de confier ces archives. Nous avons ainsi relevé que les donateurs et déposants d’archives personnelles ou familiales interrogés ont une moyenne d’âge de 76 ans16. Il s’agit d’une constante confirmée par les archivistes interrogés. Ces personnes ont en effet entrepris une réflexion sur leur propre disparition, ainsi que sur le devenir de leurs archives une fois qu’elles ne seront plus en mesure d’assurer personnellement leur conservation. L’élément déclenchant que l’on peut donc relever est l’échéance de sa propre disparition, de son décès, et le refus que ses archives disparaissent en même temps. Nous pouvons ainsi citer Pascal Dreyer, donateur lyonnais. Évoquant le difficile travail de mise en ordre de ses archives personnelles avant leur don, il considère que « c’est comme de rédiger son testament »17.

 

Le cas particulier des archives scientifiques

 

Nous rassemblons sous l’appellation « d’archives scientifiques » les documents produits par des particuliers réalisant un travail de recherche à caractère scientifique, que nous qualifieront d’érudits, ainsi que les archives produites par les chercheurs.

Les archives d’érudits, en tant que documents produits dans le cadre d’une activité privée, sont bien des archives personnelles. Nous pouvons cependant noter que les éléments déclenchant la volonté de les confier peuvent diverger sensiblement des conditions décrites ci-dessus. Ainsi c’est l’achèvement d’un travail spécifique, sur un thème par exemple, qui peut jouer ce rôle. C’est le cas du répondant qui a collecté des témoignages et archives sur son sujet de recherches. Une fois celui-ci terminé, il a souhaité confier le fonds ainsi constitué, dont il considère qu’il « appartenait à la communauté »18. Il faut relever que les travaux des érudits, bien que réalisés dans un cadre privé, disposent d’une légitimité scientifique comparable à ceux des chercheurs. Leurs archives ont donc la même valeur historique.

Les archives des chercheurs pourraient relever des archives publiques, lorsqu’elles résultent d’un travail de recherche mené au sein d’un établissement du secteur public, tel qu’une université. Il est cependant « fréquent que le producteur les assimile à ses papiers personnels »19. Nous nous plaçons donc du point de vue du producteur en traitant les archives de chercheurs en tant qu’archives personnelles. Nous pouvons nous baser sur les recherches de Julien Pomart, qui a étudié le don d’archives privées à la Fondation maison des sciences et de l’homme20. Cette fondation recueille principalement les archives de chercheurs. Il note comme principale motivation du don d’archives le décès du producteur, et précise « dès lors que le chercheur n’est plus, l’intérêt de conserver ses papiers personnels diminue ». Bien que considérées comme des archives privées, le traitement de leur conservation peut s’apparenter à celui des archives professionnelles. En effet, si l’on considère qu’un chercheur pratique son activité professionnelle jusqu’à son décès, celui-ci peut être apparenté à la fin de son activité professionnelle. Ainsi, de même qu’un professionnel souhaiterait confier ses archives lors de son départ

à la retraite, les héritiers d’un chercheur pourront souhaiter le faire à son décès.

 

 

 

 

 

 

16 Voir annexe 1.

17 Archives municipales de Lyon, Des archives pour sauver de l’oubli, 2e partie, 01:02.

18 Réponse à la question 15. Pour quelles raisons avez-vous opté pour le don / le dépôt ?

19 Nougaret Christine et Éven Pascal,  Les archives privées, p.29.

 

b)        Archives des associations et organismes apparentés

 

D’après la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association, « l’association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d'une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices »21. En ce qui concerne le rapport des associations à leurs archives, nous pouvons noter qu’elles sont considérées comme une production collective, n’appartenant pas à un individu, bien que souvent une seule personne en ait la charge. Par ailleurs, les archives des cultes sont assimilées à des archives d’association.

 

Les archives d’associations

 

L’élément déclenchant principal de la volonté de confier les archives d’une association est sa dissolution. C’est souvent la personne la plus impliquée dans l’association qui se retrouve en charge, à titre personnel,  de ces archives. Elles n’acquièrent cependant pas un statut d’archives personnelles, que ce soit au regard de la loi ou de l’avis de la personne concernée. En effet, en tant qu’archives constituées par une collectivité d’individus, une seule personne n’estime pas disposer pas de la légitimité suffisante pour juger de leur sort. C’est donc souvent à la suite d’une telle dissolution qu’un particulier se tourne vers un service d’archives pour prendre le relais de leur conservation. C’est le cas d’Agnès Couquet, dernière présidente de l’Association tissu social à Lyon 22.

 

Les archives « religieuses » ou cultuelles

 

Parmi les répondants, nous avons eu contact avec l’archiviste générale d’une congrégation religieuse. Dans ce cas, il est intéressant de relever l’implication des religieuses concernées dans la conservation de leur s archives, tout en cultivant leur aspect collectif. La volonté de la congrégation de donner ses archives a été déclenchée par « le vieillissement des religieuses […] et l’extinction éventuelle de la congrégation en France » 23. Il faut noter qu’il s’agit d’une congrégation présente en France et au Canada. Il s’agit donc bien, une fois encore, de la conscience d’une fin éventuelle pour une partie de cette congrégation qui a généré la volonté de confier ses archives.

 

c)       Archives économiques

 

Ce type d’archives représente une part importante des archives privées entrées dans les services publics d’archives. Cela est dû au volume contenu dans de tels fonds. Il faut cependant distinguer les archives professionnelles de celles des entreprises. Ainsi, les premières désignent les archives des professionnels et artisans, à leur compte, qui sont donc personnellement les producteurs. Quant aux archives des entreprises, il s’agit de celles produites par de plus importantes structures, qui ne sont donc pas attachées à l’activité personnelle

d’une personne, mais plutôt d’une entreprise dans son ensemble.

 

 

 

 

 

 

 

21 Article 1 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association (Journal officiel, 2 juillet 1901, p.4025, http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000497458).

22  Archives municipales de Lyon, Différentes circonstances et motivations de dons d’archives personnelles ou

collectives, 1ère partie.

 

Archives professionnelles

 

Parmi les répondants, nous comptons deux donateurs d’archives d’entreprises : un photographe et un architecte. Ils ont produit personnellement ces archives, parfois avec « les membres (famille ou employés) qui ont œuvrés au sein de l’entreprise »24. L’élément déclenchant de leur volonté de confier leurs archives est leur départ en retraite. Dans ce cas, c’est donc la fin d’une partie très spécifique de leur vie, consacrée à leur carrière, que ces professionnels laissent derrière eux. Leurs archives sont les traces de leur travail, de « toute ma vie professionnelle »25 dit l’un d’eux. Se pose donc la question de leur devenir, lorsque leur lieu d’activité – cabinet ou magasin – est confié à un successeur. Les archives professionnelles sont donc bien attachées à la carrière de leur producteur, contrairement aux archives des entreprises.

 

Archives des entreprises

 

Produites par un organisme privé de taille variable, les archives des entreprises sont liées à celle-ci et non à ses producteurs. Elles appartiennent à la personne morale qu’est l’entreprise. Nombre sont celles qui ont mis en place des moyens d’archivage de leur production documentaire. Leur entrée en service public d’archives ne survient donc, généralement, qu’en cas de cessation d’activités ou de faillite. Certaines entrées sont ainsi réalisées « à la suite de signalement de liquidateurs judiciaire »26 pour qui c’est une obligation27. Nous pouvons donc dire que l’élément déclenchant est la fin de l’activité de l’entreprise. Dans ce cas, cette échéance est semblable à celle qui déclenche le don ou le dépôt d’archives professionnelles. La différence notable est l’identité de leur producteur : une personne physique ou une personne morale.

 

1.3.   Raisons matérielles

 

Les raisons personnelles évoquées ci-dessus reflètent des préoccupations intrinsèquement liées aux propriétaires des fonds concernés, ainsi qu’à ces fonds eux-mêmes. La conscience d’une échéance proche, ou sa réalisation, produit une réflexion autour de la question du devenir de ses archives, et donc la volonté de les confier. Nous pouvons par ailleurs relever des raisons extérieures aux propriétaires d’archives, qui les poussent à engager la même réflexion, ou qui l’alimente. Nous avons qualifié ces raisons de « matérielles ». Elles peuvent résulter d’événements ponctuels, tels que des déménagements ou catastrophes naturelles, mais aussi de problèmes à plus long terme, typiquement le manque de place, abondamment évoqué.

 

a)       Déménagements

 

Tout comme les éléments déclenchants qualifiés de personnels, nous pouvons considérer le déménagement comme une échéance poussant le propriétaire à s’interroger sur le devenir de ses archives. C’est le cas du photographe et de l’architecte interrogés qui, quittant – physiquement – leur lieu de travail, ont dû songer à l’éventuel déménagement de leurs archives. Nous pouvons aussi prendre pour exemple les recherches

de Julien Pomart, à travers lesquelles il relève au second rang des motivations des donateurs le déménagement

 

 

 

 

24 Voir annexe 3.

25 Réponse à la question 19. Que représentent pour vous ces archives ?

26 Berger Anaïs, La collecte et le traitement des archives privées économiques par les services publics d’archives.

27 Article L. 642-23 du Code du commerce.

 

de leurs archives : « il s’agit de vider un bien immobilier avant sa mise en vente »28. La question de la conservation des archives se pose donc à leur propriétaire de manière plus urgente dans le cadre d’un déménagement. Il faut noter que souvent, dans de telles circonstances, de nombreuses archives et papiers de familles sont détruits. C’est ici qu’apparaît l’importance du fait que leur propriétaire ait conscience de leur intérêt collectif : il n’a pas la légitimité pour les détruire.

Les déménagements posent donc le problème de trouver un nouveau lieu de conservation. Hormis cette question, certains déménagements peuvent aussi présenter d’autres questionnements aux propriétaires d’archives. Pour cela, nous pouvons nous appuyer sur le témoignage d’archivistes qui ont reçu des fonds suite au déménagement de leur propriétaire dans une région éloignée. C’est le cas du donateur d’une série de photographies aériennes du Maine-et-Loire. Lors de son déménagement dans un département éloigné géographiquement, il a souhaité que ces clichés demeurent en lien avec les lieux qu’ils représentaient. Chercher un lieu de conservation en Maine-et-Loire permettait alors de conserver une cohérence avec le fonds, ce qui était alors plus important pour son propriétaire que de les conserver par-devers lui.

 

b)       L’encombrement

 

Nous ne pouvons pas considérer le manque de place, évoqué par de nombreux propriétaires d’archives, comme un événement déclenchant à part entière. Il s’agit plutôt d’une raison supplémentaire, qui vient à l’appui d’un autre élément détaillé jusqu’ici. La notion de manque de place est en effet subjective, elle résulte d’une situation mise en place sur le long terme. Nous considérons donc comme nécessaire la présence d’un élément déclenchant annexe, qui pousse à mettre en avant un problème de place jusqu’alors ignoré.

Prenons l’exemple du répondant qui, en tant que photographe, a conservé durant toute sa carrière ses archives. Ce n’est qu’à sa retraite que l’espace qu’elles occupaient est devenu un problème. Il identifie d’ailleurs ce problème comme l’élément déclenchant principal de sa volonté de confier ses archives : « Le volume, archivage […] devenaient difficiles à gérer »29. Il est intéressant de noter que le problème de la place des archives des photographes est l’une des principales raisons de leur destruction depuis l’arrivée du numérique. Pascal Tellier 30 a ainsi remarqué que, la photographie argentique ayant quasiment disparu, la tendance est au rétrécissement des boutiques des photographes. Dans le même temps, de nombreux fonds de photographes sont détruits, faute de place pour les conserver dans les locaux actuels. Cela nous conforte donc dans l’idée qu’un manque de place n’est pas une cause unique à la volonté de confier ses archives mais, combiné à d’autres éléments déclenchants, contribue à en alimenter la réflexion.

 

c)       Catastrophes naturelles

 

Prévoir un déménagement, la fin d’une activité professionnelle ou son propre décès poussent à engager une réflexion quant au devenir de ses archives. Dans les cas cités ci-dessus, bien qu’étant impulsée par un élément déclenchant, la volonté de confier ses archives se concrétise à travers une démarche sur la longue durée,

 

 

 

 

 

 

28 Pomart Julien, Le don d’archives privées.

29 Réponse à la question 7. Quel a été l’élément déclenchant votre volonté de confier ces archives ?

30 Archiviste responsable des fonds iconographiques aux archives départementales de Maine-et-Loire.

 

qui dure parfois jusqu’à plusieurs années. Cela peut prendre du temps, parfois jusqu’à plusieurs années avant le transfert effectif des fonds. Nous devons cependant aborder ces événements déclenchants qui, par leur caractère soudain, conduisent à des sauvetages d’archives dans l’urgence. Nous pouvons ainsi citer les catastrophes naturelles qui, mettant en danger des archives, poussent leur propriétaire à chercher une aide extérieure. Ces circonstances conduisent certains propriétaires d’archives à s’interroger sur leur capacité à sauver leurs archives dans l’immédiat, puis à les conserver sur le long terme.

Pour cela, nous pouvons nous arrêter deux exemples d’inondations de fonds d’archives qui ont conduit leurs propriétaires à les confier aux archives départementales de Maine-et-Loire. C’est le cas d’un photographe d’Angers, dont les archives ont subi l’inondation de 1995. Dépassé par la situation, il lance un appel à l’aide dans un journal local. Les Archives départementales ont, sans hésité, apporté leur savoir-faire : les photographies, négatifs et plaques de verre inondés sont pris en charge par le service pour leur sauvetage. Une fois le fonds du photographe restauré, il n’a pas souhaité en reprendre possession, mais plutôt le laisser aux bons soins du service qui l’avait sauvé. Nous pouvons, de même, citer une association qui a récemment sollicité les Archives départementales  pour  le transfert  de leurs  archives,  suite  à une inondation  de leur lieu de  conservation

– notamment une cave.

 

Nous pouvons donc remarquer que ces situations exceptionnelles, qui mettent en danger les archives, font office d’élément déclenchant grâce auquel les propriétaires prennent conscience de l’importance de la conservation de leurs archives. Dépassés par les évènements, ils en viennent à douter de leur capacité en la manière, et à souhaiter passer le relais. Il s’agit là d’un point de rupture brutal qui n’a pas été alimenté par une réflexion préalable.

 

2.  Confier ses archives : à qui ?

 

« La véritable question est celle de savoir à qui donner. »31

 

Alain CAILLÉ

 

 

 

Confier ses archives n’est pas une démarche anodine ni automatique. Comme nous l’avons vu, cela suppose tout d’abord une réflexion sur leur valeur, puis sur leur conservation. Le propriétaire d’archives en vient à envisager de passer le relais lorsque survient une rupture par rapport à leur conservation ou leur production. Cette rupture peut être formalisée par l’âge qui avance, la fin d’une activité professionnelle ou la mise en danger soudaine des archives concernées. Ces phénomènes questionnent les propriétaires sur le devenir de leurs archives, et sur leur capacité personnelle à les conserver.

 

2.1.   Quand on veut passer le relais

 

Lorsque le propriétaire remet en question cette capacité à conserver ses archives, il apparaît une volonté de les confier, de passer le relais. Cette démarche n’est pas anodine, elle met en jeux les forts liens pouvant exister entre une personne et les archives qu’elle conserve. Ainsi un donateur lyonnais, Pascal Dreyer, évoque des archives importantes pour lui. Il les a remisées dans son grenier, et n’a été capable d’entreprendre un travail dessus en vue de les confier qu’une fois qu’elles ont eu « refroidit »32. Une certaine distanciation semble donc préalable, mais cependant pas suffisante pour se permettre de simplement détruire ses archives. Songer à confier ses archives suppose donc, au-delà de réflexions sur ses capacités personnelles à les conserver, un détachement suffisant pour accepter de transmettre cette responsabilité à un tiers.

 

a)       Dialogue avec les proches

 

Cette volonté de passer le relais s’exprime tout d’abord dans un cercle restreint. Un dialogue est donc établi avec les « proches » des archives : famille, successeur, descendants, amis…33. À ce stade, les archives concernées disposent d’un statut d’archives d’intérêt collectif qu’on pourrait dire non public. Ainsi, les propriétaires d’archives familiales ont tendance à s’adresser en premier lieu à leur famille. Ils ont donc bien conscience d’un intérêt que l’on peut qualifier de collectif. Mais il ne s’agit pas d’un collectif au sens « grand public », mais plutôt de la collectivité de la famille concernée par ces archives. De même, nous pouvons citer le cas de l’architecte répondant qui, dans un premier temps, s’est adressé autant à ses enfants qu’au repreneur de son agence. Outre l’intérêt strictement personnel de ses archives, il a identifié leur intérêt plus collectif en tant que papiers de famille

autant que documents de travail.

 

 

 

 

 

 

 

31 Caillé Alain, Don, intérêt et désintéressement, p.272.

32  Archives municipales de Lyon, Différentes circonstances et motivations de dons d’archives personnelles ou collectives, 2e partie, 09:03.

33 Voir annexe 4.

 

Nous pouvons nous interroger sur ce besoin de dialogue préalable avec les proches des archives concernées. Deux éléments interdépendants peuvent être mis en avant. Tout d’abord, la volonté de confier ses archives sous-entend que leur propriétaire s’en soit émotionnellement éloigné. Dans un premier temps, ce détachement permet au propriétaire d’envisager de s’en séparer. Il n’est cependant pas suffisant pour accepter de les confier hors d’un cercle restreint, qui confère un sentiment de protection et de sécurité. Cet environnement sécuritaire est, comme nous le verrons ci-dessous, un préalable nécessaire au transfert de ses archives. C’est donc tout d’abord à son entourage que l’on adresse sa demande de transfert d’archives.

Par ailleurs, comme nous l’avons constaté, ces archives ont aux yeux de leur propriétaire un statut collectif – bien que restreint. Tout comme les archives d’associations évoquées ci-dessus, nous pouvons considérer que le propriétaire des archives ne considère pas avoir la légitimité suffisante pour décider seul de leur sort. Un dialogue avec les proches de ses archives peut donc sembler obligatoire avant toute décision de transfert. Certains répondants ont pourtant exprimé une volonté immédiate de confier leurs fonds aux archives départementales de Maine-et-Loire. Le dialogue avec les proches s’apparente alors ici à une simple formalité dans le but de les tenir informés sur le devenir de ces archives. Ainsi, l’une des donatrices de pièces isolées produites par sa mère n’en a informé ses proches qu’ultérieurement34. Dans ce cas, nous pouvons considérer que la propriétaire s’est considérée comme seule responsable du devenir de ces archives, sans être redevable envers ses descendants.

 

b)        Ouverture vers l’extérieur

 

Comme nous l’avons constaté, ceux qui souhaitent confier leurs archives cherchent généralement une solution dans leur entourage avant de songer à une solution extérieure. Les principales raisons qui poussent à entreprendre une telle démarche sont le manque d’intérêt des proches pour ces archives, voir dans certains cas leur absence complète. Ce n’est donc qu’après avoir épuisé les solutions « proches » que le propriétaire songe à confier ses archives à un tiers hors de son entourage. Dans certains cas, nous pouvons aller jusqu’à dire qu’il ne le fait qu’en dernier recours. Une fois encore, il faut noter l’importance considérable qu’a le statut des archives sur leur sort final. En effet, à moins de prendre conscience d’un intérêt public, le propriétaire dont les archives n’intéressent pas ses proches pourrait être tenté de les détruire.

Nous avons relevé une tendance chez certains répondants à rechercher une solution alternative aux proches dans un cercle élargi, tout en conservant un degré de confiance suffisant. Citons ainsi une donatrice de pièces isolées à caractère familial qui s’est adressée à « un journaliste ami, pour une éventuelle publication dans une revue relativement confidentielle »35. De même, l’archiviste générale d’une congrégation religieuse a évoqué le souhait premier « que leurs archives soient transférées dans un centre d’archives religieuses »36. Il convient de s’interroger sur le choix final d’un destinataire différent pour les archives de ces personnes et organisations. Nous évoquerons ci-dessous leurs attentes ainsi que les raisons qui les ont poussés à choisir les  archives

départementales de Maine-et-Loire.

 

 

 

 

 

34 Réponse à la question 9. Quel est votre lien avec ces personnes et quelles ont été leurs réactions ? : « Après

mes démarches j’en ai informé mes petites filles qui ont été enchantées de ma décision ».

35 Réponse à la question 9. Quel est votre lien avec ces personnes et quelles ont été leurs réactions ?

 

Nous pouvons par ailleurs relever le rôle majeur joué par certains proches qui, déjà en contact avec un service d’archives, peuvent inciter le propriétaire à le solliciter. C’est le cas de deux répondants, dont un proche les a orientés vers les archives départementales de Maine-et-Loire. Il faut noter qu’il s’agit pour l’un d’archives familiales, et pour l’autre d’archives professionnelles. Ils déclarent avoir connu le service, respectivement, « par une amie » et « par mon successeur »37. Nous pouvons constater que, dans ces conditions, le proche en question accompagne le propriétaire dans ses démarches de manière active. C’est lui qui peut prendre l’initiative de la première prise de contact avec le service d’archives : « Mon amie a pris rendez-vous avec Mme Lydia Dosso38 et nous y avons été ensemble »39. Cette proximité entre le proche et le service d’archives représente une passerelle permettant d’envisager le transfert de ses archives à un tiers hors de son entourage. Cela met en avant l’importance du sentiment de confiance, voire d’intimité entre le propriétaire des archives et leur futur responsable.

 

c)       Lorsque le service d’archives sollicite le don

 

Nous devons enfin nous pencher sur les cas de dons et dépôts pour lesquels le service d’archives a pris l’initiative du premier contact. Dans la plupart des cas, certains critères cités ci-dessus sont déjà présents, la démarche du service n’agit donc que comme élément déclenchant. Elle permet aux propriétaires d’archives de prendre conscience de l’intérêt collectif public des documents qu’ils conservent, ainsi que de l’intérêt de les confier.

Ainsi, le répondant qui a donné ses archives d’architectes a répondu à une sollicitation des archives départementales de Maine-et-Loire. Étant pourtant un utilisateur des archives il n’a pas eu, de lui-même, le réflexe de les confier au service. Nous pouvons avancer que cet architecte, ayant déjà eu recours à d’autres archives d’architectes, a vu l’intérêt de ces documents anciens, mais n’a pas fait le lien avec les siens, justement parce-qu’ils sont récents. Tant qu’il s’agit de documents de travail, leur producteur manque semble-t-il de recul pour les considérer comme des archives qui serviront à faire l’histoire. En tant qu’archiviste en charge des fonds privés, Lydia Dosso40 affirme qu’une veille quant aux fermetures d’entreprises – cessation d’activités, liquidation – et dissolutions d’associations est importante pour avoir une chance de collecter ce type de fonds. Il faut en effet savoir solliciter les intéressés au bon moment pour espérer les convaincre.

Dans certains cas, le service d’archives est à l’initiative du contact avec le propriétaire d’archives, sans que la question de leur transfert par don ou dépôt n’ait été envisagée au départ. C’est ainsi que le service a sollicité des prêts d’archives, notamment dans le cadre d’expositions, qui se sont finalement transformés en don ou dépôt. C’est le cas d’un fonds de photographies de la mine d’or de Saint-Pierre-Montlimart, initialement emprunté pour l’exposition « Or noir, or blanc, or bleu » relative à l’histoire des mines et carrières en Anjou41, puis donné au service. Des sollicitations pour numérisation peuvent aussi aboutir à une démarche de don ou de

dépôt. Ainsi, dans le cadre de la Grande Collecte42, sur les 160 contacts entre les archives départementales de

 

 

 

 

 

 

37 Réponse à la question 12. Comment avez-vous connu le service ?

38 Archiviste responsable des archives privées aux archives départementales de Maine-et-Loire.

39 Réponse à la question 13. De quelle façon avez-vous contacté les archives départementales de Maine-et-Loire ?

40 Archiviste responsable des archives privées aux archives départementales de Maine-et-Loire.

41 Archives départementales de Maine-et-Loire, Exposition Or noir, or blanc, or bleu, Angers, 1996.

42 Opération de numérisation d’archives privées dans le cadre du Centenaire de la Première Guerre mondiale.

 

Maine-et-Loire et les particuliers, une dizaine de dons vont être effectués. Nous pouvons par ailleurs prendre l’exemple des archives de photographe, touchées par l’inondation de 1995 à Angers, que nous évoquions ci- dessus. Leur sauvetage en urgence par les Archives départementales a abouti, au fil des contacts avec le photographe, à la mise en place d’une procédure de don. Dans ce cas, nous constatons que cette situation de crise a créé un lien étroit de confiance entre le service et le propriétaire du fonds. Il faut noter que par la suite, à son décès, son fils a retrouvé un complément d’archives qu’il a donc donné au service dans la continuité de la démarche de son père.

 

 

Qu’elle soit à l’initiative du propriétaire ou à celle du service d’archives, la volonté de confier ses archives requiert des préalables indispensables. Ainsi, avoir conscience de la valeur de ses documents en tant qu’archives d’intérêt public, et souhaiter passer le relais, sont deux étapes primordiales. De nombreux propriétaires d’archives en restent là, et leurs fonds passent de main en main, au sein d’une même famille ou d’un même cabinet d’architectes par exemple. Qu’en est-il alors de ceux qui décident de confier leurs archives à un organisme tel qu’un service d’archives ? Comme nous avons pu le constater, il s’agit souvent d’un second choix, mais ses critères de sélection sont d’autant plus rigoureux que le donataire ou dépositaire est hors de son cercle de confiance. Ainsi, un propriétaire d’archives pourra s’avérer très sélectif quant au choix du lieu, de manière à recréer un climat de confiance semblable. Nous allons donc nous pencher sur la question du choix de l’organisme auquel confier ses archives à travers l’exemple des archives départementales de Maine-et-Loire. Nous verrons quels critères les donateurs et déposants peuvent mettre en avant quant à leur choix de ce lieu.

 

2.2.   Le choix du lieu : l’exemple des archives départementales de

Maine-et-Loire

 

Bien plus qu’un lieu de conservation, nous pouvons dire que le propriétaire choisit pour ses archives un organisme d’accueil dans son ensemble : ses locaux, son personnel et son accueil, sont des critères aussi importants les uns que les autres. Nous verrons ainsi que la confiance est l’un des piliers d’une procédure de transfert d’archives.

Les Archives départementales sont l’échelon le plus actif de France en matière de collecte d’archives privées. Leur accroissement annuel, dépassant les quatre km.l. pour l’année 2012, représente 57% du total national43. Par ailleurs, les archives départementales de Maine-et-Loire, avec leurs 150 m.l., comptent parmi les

12 départements ayant collecté plus de 100 m.l. pour l’année 201244. Nous pouvons donc considérer les archives départementales de Maine-et-Loire comme représentatives des services publics d’archives collectant des archives

privées.

Nous allons tenter de dresser les grands traits des préoccupations des donateurs et déposants à travers les avis des répondants45. S’agissant d’une question ouverte, nous avons choisi de synthétiser ses réponses sous

 

 

 

 

 

 

43 Voir annexe 6. Source : Service interministériel des Archives de France, Des archives en France 2012, p.5.

44 Voir annexe 7. Source : Service interministériel des Archives de France, Données statistiques 2012 des services d'archives départementales.

45 Réponses à la question 14. Quelles raisons vous ont motivées à choisir ce service ?

 

la forme d’un nuage de mots-clés réalisé grâce à l’outil Wordle™46. Il permet de cartographier les termes les plus utilisés par les répondants.

 

Figure 1 : Nuage de mots-clés relatifs aux raisons du choix du lieu de conservation.

 

 

a)       Sa situation géographique

 

Nous pouvons remarquer à partir du nuage de mots clés47 que les termes « Angers » et « France » sont importants. La situation géographique du lieu de conservation de ses archives est en effet primordiale pour leur propriétaire. À travers cela, c’est une proximité qui est recherchée : avec soi, ou avec le contexte de production de ses archives.

Certains déposants ou donateurs éprouvent de la difficulté à se séparer physiquement de leurs archives. Leur choisir un lieu de conservation qui reste géographiquement proche de soi représente pour certains une solution rassurante. Par ailleurs, les contacts en sont facilités avec le service avant et après le transfert – lorsqu’ils se poursuivent. De même, en ce qui concerne des fonds assez volumineux, choisir un lieu de conservation proche facilitera le déménagement des archives.

La proximité avec le contexte de production des archives apparaît comme un second facteur-clé dans le choix de leur lieu de conservation, tant pour leur propriétaire que pour le service d’archives. En effet, les deux parties se rejoignent autour d’une volonté de cohérence. L’important est que les fonds restent conservés dans

« le département ou la ville où ils ont été produits »48. C’est le cas de la répondante responsable du dépôt d’archives cultuelles. Le choix des archives départementales de Maine-et-Loire a en effet été motivé par des raisons géographiques, évoquant la perte de sens que constituerait le transfert des archives françaises de la congrégation vers son siège à Montréal. D’autres lieux de conservation ont de même été rejetés sur ce critère :

« Le Centre national des archives de l’Église de France (CNAEF) à Issy-les-Moulineaux […] n’a pas été retenu, à

 

cause de la distance. Entre Paris et Angers, nous avons opté sans hésitation pour la proximité » 49. Nous pouvons

 

par ailleurs revenir sur l’exemple du donateur d’une série de photographies aériennes du département qui, lors

 

 

 

 

 

 

46 Feinberg Jonahtan, Wordle™ [en ligne]. http://www.wordle.net/

47 Voir figure 1 ci-dessus.

48 Nougaret Christine et Éven Pascal,  Les archives privées, p.61.

 

de son déménagement dans une autre région, a souhaité confier ces clichés aux Archives départementales. Cela garantit donc aux archives de conserver une cohérence avec leur lieu de production.

Il faut par ailleurs noter que le critère territorial revêt une grande importance quant à la collecte d’archives privées par les services publics d’archives. Ainsi, Lydia Dosso50  cite comme premier critère de collecte dans le service : « il faut toujours qu’il y ait un lien avec l’histoire de l’Anjou ». L’exemple de la ville d’Angers est intéressant dans ce domaine : deux services d’archives y cohabitent, Archives municipales départementales. Loin d’être en concurrence, ils sont complémentaires : le premier collectant les fonds ayant une portée limitée à la ville d’Angers, le second ceux ayant une dimension départementale. C’est par exemple le critère qui est retenu quant à la collecte des fonds d’associations.

Outre la nécessité de rassurer le propriétaire des archives et d’assurer à celles-ci une conservation optimale, le choix du lieu de conservation doit être en cohérence avec le fonds concerné. De l’avis, tant des propriétaires que des archivistes, les archives doivent être conservées dans un lieu où elles font sens.

 

b)       Conditions matérielles

 

Les conditions de conservation des archives confiées restent importantes aux yeux de leurs propriétaires. Ainsi les termes « conservées » et « protégées » sont très présents51. Ils sont cependant nombreux à ne pas faire valoir de grandes exigences en la matière. En effet loin d’être parfaites, les conditions de conservation qu’offre un service d’archives constitué sont souvent meilleurs que celles accessibles aux particuliers. Ainsi, lorsqu’il est demandé aux répondants de décrire les conditions de conservation de leurs archives – avant leur transfert – nous pouvons lire « Normales ? Tiroir, boîte carton, enveloppe... »52. Loin de les blâmer, nous pouvons constater que leurs exigences de conservation sont moindres que celles d’un service d’archives.

Certains propriétaires expriment néanmoins des exigences précises quant à la conservation matérielle de leurs archives. Il s’agit en fait de répondants qui, proches du milieu des archives, connaissent les règles archivistiques en matière de conservation. Nous pouvons dans ce cas nous appuyer sur le témoignage de la répondante responsable du dépôt d’archives cultuelles. Elle détaille notamment les efforts de conservation physique du fonds par les archivistes de la congrégation : « Au début des années 1980, [un lieu] a été aménagé selon les normes en vue de la meilleure conservation possible des documents : contrôle de la température, de l’humidité et de l’éclairage, achat de boîtes d’archives Cauchard, rayonnages mobiles économisant de l’espace. » Nous pouvons donc considérer que les exigences de la répondante en matière de conditions matérielles de conservation sont celles d’une professionnelle avertie.

Les critères de bonne conservation matérielle divergent donc sensiblement selon la proximité du donateur ou déposant avec le milieu des archives. Les actions de mise en valeur des archives privées par les services d’archives sont d’autant plus importantes. Ainsi, certains services d’archives départementales dispensent des

conseils de conservation à l’attention des propriétaires d’archives privées sur leur site internet53.

 

 

 

 

 

50 Archiviste responsable des archives privées aux archives départementales de Maine-et-Loire.

51 Voir figure 1 ci-dessus.

52  Réponse à la question  6. Dans quelles conditions  matérielles  étaient conservées  vos archives avant leur transfert ?

53 Voir annexe 8.

 

c)       L’image des archives départementales de Maine-et-Loire

 

Comme nous avons pu le constater, confier ses archives implique un degré de confiance élevé envers le donataire ou dépositaire. Dans le cas présent, la première impression des répondants est basée sur l’image que l’on se fait d’un service public d’archives en général, ainsi que sur la « réputation »54 des archives départementales de Maine-et-Loire en particulier.

 

Un service public

 

Intéressons-nous tout d’abord à la notion de service public d’archives en général. Une image se dessine à travers les paroles des répondants55, ainsi que des donateurs filmés par les archives municipales de Lyon56. En tant qu’institution, un sentiment de stabilité se dégage des services publics d’archives. Ainsi Jacques Gadille, donateur lyonnais, dit des archives municipales de Lyon « vous êtes une institution, et par conséquent, c’est sur la longue durée que la publication (sic) est faite »57. Il s’agit là d’une différence notable entre les services publics d’archives et d’autres organismes collectant les archives, tels que des associations ou des instituts privés. L’État et les collectivités locales sont en effet en mesure de fournir une image de stabilité dans le temps, cela est d’autant plus vrai de l’échelon départemental, qui n’a guère connu de remises en cause depuis sa création58. Cette impression est par ailleurs renforcée par le « contenu » des magasins de conservation des services d’archives. Nous pouvons résumer cela grâce à l’expression d’un répondant : « Le seul à notre connaissance qui nous permette d'avoir le maximum d'éléments officiels rassemblés dans un seul endroit »59.

 

 

Outre ce sentiment de stabilité, c’est le statut de « Service Public »60 qui est mis en avant. Une vision qui est largement inspirée de la doctrine des « Lois Rolland » (1938) : la mutabilité pour répondre à l’intérêt général, la continuité et l’égalité des citoyens devant le service public. Ainsi, les donataires et déposants voient dans la collecte de leurs archives la reconnaissance de leur valeur collective et publique. Acceptés par un service public d’archives, les propriétaires voient leurs fonds acceptés par la société toute entière, déclarés « d’intérêt général ». Ils acquièrent la même valeur historique que les archives publiques.

Par ailleurs, le principe d’égalité des citoyens devant le service public confère l’image d’un large accès

aux  documents, presque universel. Cette volonté d’ouverture au public de ses archives est largement présente chez les donateurs et déposants, allant jusqu’à souhaiter leur communicabilité immédiate. N’y décelant pas les risques d’atteinte à leur vie privée, c’est à l’archiviste de poser des limites en la matière. Ainsi dans de tels cas, Lydia Dosso61 nous dit qu’avec l’accord du propriétaire, elle attribue aux archives concernées les délais de communicabilité appliqués aux archives publiques.

 

 

 

 

54 Voir figure 1 ci-dessus.

55 Réponses à la question 14. Quelles raisons vous ont motivées à choisir ce service ?

56  Archives municipales de Lyon, Différentes circonstances et motivations de dons d’archives personnelles ou collectives.

57  Archives municipales de Lyon, Différentes circonstances et motivations de dons d’archives personnelles ou collectives, 1ère partie, 09:20-09:32.

58 Bien qu’à l’heure actuelle la suppression des départements est discutée.

59 Réponse à la question 14. Quelles raisons vous ont motivées à choisir ce service ?

60 Réponse à la question 14. Quelles raisons vous ont motivées à choisir ce service ?

61 Archiviste responsable des archives privées aux archives départementales de Maine-et-Loire.

 

C’est enfin la notion de gratuité qui est mise en avant par les propriétaires d’archives. Un service d’archives, en tant que service public, se doit de conserver les archives privées ayant un intérêt général et ce, sans contrepartie financière de leurs propriétaires. Il s’agit d’un aspect non négligeable, notamment en ce qui concerne les fonds volumineux. C’est le cas de la répondante responsable du fonds d’archives cultuelles qui note, après avoir listé de nombreux critères de sélection d’un lieu de conservation : « Et tout cela gratuitement. Que pouvions-nous demander de mieux ? »62

 

Un service réputé

 

Outre le caractère de service public des archives départementales de Maine-et-Loire, sa réputation pèse lourdement sur le choix de certains déposants et donateurs. Celle-ci est liée à sa directrice, Mme Élisabeth Verry. Directrice des Archives départementales depuis 1990, elle y a mis en œuvre une politique volontariste de collecte d’archives privées et s’est impliquée dans les associations d’histoire angevines, développant un « réseau relationnel »63 parmi une frange historienne et érudite de la population locale. De nombreux propriétaires d’archives étant dirigés vers le service par un proche, ce réseau joue un rôle primordial dans la collecte d’archives

privées.

 

Les archivistes du service s’accordent sur l’importance du travail mené par la direction en la matière. Ils avouent même se sentir privilégiés en comparaison d’autres services d’archives départementales moins axés sur les archives privées. Outre leur collecte et leur valorisation, c’est la stabilité du service qui est vu comme un gage de confiance, à travers son statut de service public, mais aussi par sa directrice. En poste depuis plus de 20 ans, elle confère au service une image continue et sable, ce dont ne bénéficient pas d’autres services d’archives départementales. Ainsi, les services qui voient leur direction renouvelée de manière répétée, et ce à intervalles rapprochées, ne disposent pas d’une visibilité auprès du public.

 

d)       Valorisation des archives

 

Cette visibilité auprès du public passe notamment par les actions de valorisation mises en œuvre par le service. Comme nous l’évoquions ci-dessus, la valorisation des archives privées est un élément essentiel dans la prise de conscience de la valeur de ses archives. Cela passe notamment par leur mise en valeur dans les expositions organisées par les services. De même, certains services d’archives départementales consacrent une partie importante de leur site internet aux archives privées : mise en avant de documents ou fonds particuliers, définition des archives privées, ou conseils de conservation à l’usage des propriétaires64, participent à leur valorisation.

L’importance des actions de valorisation des archives privées aux yeux des propriétaires suit un second axe. Cela leur permet en effet de projeter la valorisation future de leurs propres fonds, une fois confiés au service. Comme nous l’avons constaté précédemment, au-delà de la conservation matérielle de leurs archives, les

propriétaires cherchent, en les confiant, à leur assurer un statut public. Leurs archives ont alors pour vocation

 

 

 

 

 

 

62 Réponse à la question 14. Quelles raisons vous ont motivées à choisir ce service ?

63 Nougaret Christine et Éven Pascal,  Les archives privées, p.62.

64 Voir annexe 8.

 

d’être « valorisées »65 à travers leur communication au public, leur numérisation, ou bien des expositions. Ainsi, le donateur du fonds d’architecte dit souhaiter « transmettre ces documents pour un travail futur sur les bâtiments »66. La qualité de l’accès des archives au public revêt donc un rôle important quant au choix de leur lieu de conservation. Nous pouvons ainsi citer la responsable du fonds d’archives cultuelles qui, comme préalable au transfert, a effectué une visite du service. Elle en a retenu « les dimensions de l’édifice, la disposition et l’atmosphère des lieux, la qualité des services offerts, l’équipement de reproduction moderne, une salle de recherche silencieuse, une salle d’expositions temporaires »67.

Avoir conscience que ses archives, une fois transférées, seront utiles à leur lieu de conservation ainsi qu’à ses visiteurs est décisif quant au choix du propriétaire. En cela, nous pouvons dire que les actions de valorisation menées par les services d’archives participent de leur politique de collecte d’archives privées.

 

e)       Dimension humaine

 

 

« Être là pour recevoir […] cela donne l’impression à (l’autre) d’être réel, d’exister » 68.

 

MASTER 2 « MÉTIERS DES ARCHIVES »

 

 

 

Reconnaître l’importance et l’utilité de ses archives est significatif pour peur propriétaire. Cela passe, comme nous l’avons constaté ci-dessus, par leur valorisation. Il ne faut cependant pas négliger le rôle que jouent les interlocuteurs du déposant ou donateur. Ainsi, les propriétaires d’archives mettent volontiers en avant l’accueil favorable que leurs archives ont reçu aux archives départementales de Maine-et-Loire. Citons ces répondants qui soulignent que le service « était intéressé à (sic) nos archives », ou bien encore qu’il « a apprécié le classement, l'archivage et les registres que nous lui avons confiés »69.

Lorsqu’un propriétaire d’archives privées sollicite un organisme tel que les Archives départementales, l’accueil qui lui est réservé est d’un enjeu majeur. Nous pouvons ainsi nous appuyer sur l’exemple d’une donatrice qui a, dans un premier temps, proposé ses archives à un organisme qui était intéressé, mais guère enthousiaste. C’est ce qui l’a poussée à rechercher un autre lieu de conservation : la réaction très positive des archives départementales de Maine-et-Loire l’a décidée à choisir ce service. Nous pouvons supposer que, d’après cette expérience, nombreux sont ceux qui n’auraient pas tenté leur chance ailleurs. Certains donateurs et déposants ont mentionné « l’intérêt poli » manifesté par les proches du fonds en opposition à l’intérêt, considéré comme sincère, de l’archiviste. En effet, étant étranger au fonds, l’archiviste n’a pas d’obligations envers lui. De plus, son statut de professionnel reconnu donne de la valeur à son avis. Il faut d’ailleurs signaler que les archivistes interrogés disent réserver le même accueil aux propriétaires venus confier des pièces isolées qu’à ceux qui

disposent de fonds plus conséquents – un fonds d’entreprise par exemple.

 

 

 

 

 

65 Voir figure 1 ci-dessus.

66 Voir réponse à la question 19. Que représentent pour vous ces archives ?

67 Réponse à la question14. Quelles raisons vous ont motivées à choisir ce service ?

68 Master 2 « Métiers des archives » de l’université d’Angers, Le don : une approche renouvelée des archives privées.

69 Réponse à la question 14. Quelles raisons vous ont motivées à choisir ce service ?

 

Nous pouvons donc considérer que l’intérêt manifesté par l’archiviste met en valeur le fonds, mais aussi son propriétaire. C’est la première étape vers l’instauration d’un lien de confiance entre les deux protagonistes. Cette dimension humaine est l’un des facteurs clés d’un processus de don ou dépôt d’archives réussi. En effet, comme nous l’avons constaté précédemment, le propriétaire d’archives souhaite les confier à quelqu’un en qui il peut avoir confiance. Sorti du cercle de ses proches, il faut rétablir ce climat de sécurité avant d’envisager de confier ses archives. Le lien entre celles-ci et leur propriétaire ressort pour partie de l’intime, transmettre à un tiers la responsabilité d’en prendre soin à sa place peut s’apparenter à lui confier une partie de soi-même. Ainsi, d’après Alain Caillé « le don […] scelle l’alliance entre les personnes »70.

 

 

 

 

Dressons alors le profil-type du service d’archives idéal aux yeux des donateurs et déposants. Il doit s’agir d’un lieu qui fait sens, géographiquement proche du contexte de production des archives. Celui-ci doit pouvoir garantir la bonne conservation des fonds confiés sur le long terme : un service public est donc gage de sécurité et de stabilité. L’image du service doit être rassurante et attractive : il doit manifester son intérêt pour les archives privées, notamment à travers son site internet et ses expositions. Tout particulièrement, un accueil chaleureux doit être réservé aux propositions de transfert d’archives privées. Enfin, une relation de confiance

avec un archiviste qualifié scelle le choix du déposant ou donateur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

70 Alain Caillé, Don, intérêt et désintéressement, p.233.

 

3.  Confier ses archives : comment ?

 

Une fois le futur lieu de conservation des archives arrêté par leur propriétaire, vient la question du choix de la  modalité  de transfert.  Nous  allons  pour cela nous intéresser  au  rôle  joué  par l’archiviste , en  tant qu’interlocuteur avec le propriétaire du fonds. Nous nous attarderons dans un second temps sur le don et le dépôt, dont nous tenterons d’analyser les enjeux pour comprendre ces choix différents.

 

3.1.   La relation avec l’archiviste

 

Comme nous l’avons constaté ci-dessus, la mise en place d’une relation de confiance entre le propriétaire des archives et l’archiviste est un préalable indispensable à leur don ou dépôt. Celle-ci passe tout d’abord par la reconnaissance de l’intérêt du fonds proposé. Ainsi, Alain Caillé considère que ce qui fait la valeur d’un don, c’est

«  le plaisir manifesté par le récepteur »71.

 

Dans un premier temps, l’archiviste détermine donc l’intérêt qu’aurait pour son service la collecte du fonds en question. Cela pose aux archivistes concernés des questions d’ordre éthique. En effet, si l’on considère les fonds d’archives conservés aujourd’hui comme une future source pour l’histoire, leur sélection objective est un enjeu crucial. Comme l’affirme Pascal Tellier72, « l’archiviste n’est pas là pour juger », contrairement à l’aspect subjectif de la collecte dans un musée. Nous pouvons cependant nous poser la question des centres d’intérêt des futurs chercheurs. Il est à supposer qu’ils seront bien loin des objets d’études actuels, au vu de l’évolution de la pratique historique, ne serait-ce qu’au cours du siècle dernier. L’archiviste a donc pour objectif de collecter – de la manière la plus neutre possible – les archives privées reflétant les activités et préoccupations de la société contemporaine, tout en complétant les lacunes du service. Il ne peut donc pas accepter tous les fonds proposés. Simplement les refuser n’est cependant pas considéré comme une option par les archivistes interrogés. Ils considèrent que leur mission est d’accompagner les demandeurs dans leurs démarches. Ils tiennent ainsi à leur proposer une alternative, notamment en les mettant en relation avec un lieu de conservation plus adapté.

Lorsque les archives proposées sont en cohérence avec les fonds déjà conservés par le service, l’archiviste doit comprendre clairement les motivations et attentes du demandeur. En effet, d’après l’expérience des archivistes interrogés, lorsqu’un propriétaire les sollicite en vue de leur confier ses archives, il n’a pas défini les modalités légales de ce transfert. Sa volonté première est simplement de passer le relais. C’est donc au fil des contacts entre les deux interlocuteurs que les souhaits du propriétaire se dessinent. L’archiviste doit comprendre les enjeux de la démarche du demandeur, puis l’informer sur les modalités concrètes de transfert. Le choix du demandeur résulte de la combinaison de multiples facteurs. Les éléments déclenchants évoqués ci-dessus en sont partie prenante, ainsi que la nature des liens entre le propriétaire et ses archives. L’archiviste joue donc un rôle d’informateur, permettant au demandeur de faire un choix libre et éclairé. Bien qu’ils préfèrent la modalité

du don, cette notion de liberté de choix très importante aux yeux des archivistes interrogés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

71 Caillé Alain, Don, intérêt et désintéressement, p.42.

72 Archiviste responsable des fonds iconographiques aux archives départementales de Maine-et-Loire.

 

3.2.   Le don d’archives

 

a)       Modalités légales

 

Le don, de même que le legs, est considéré par la loi comme une libéralité73. Il s’agit d’un « acte par lequel une personne majeure et saine d’esprit consent à une autre un avantage sans contrepartie »74. En ce qui concerne les archives privées, cela ne conduit donc pas uniquement à les confier à un tiers, mais bien à lui en transmettre la propriété matérielle75. Il faut noter que les archives privées données à un service public d’archives acquièrent une protection juridique renforcée. Elles entrent dans le domaine public mobilier de la personne publique, et deviennent de ce fait imprescriptibles, insaisissables et inaliénables76.

Le donateur peut, s’il le souhaite, réaliser le don sous conditions. En effet, d’après le Code du patrimoine,

 

« Les services publics d'archives qui reçoivent des archives privées à titre de don […] sont tenus de respecter les stipulations du donateur […] quant à la conservation et à la communication de ces archives »77. Il peut notamment définir pour ses archives un lieu de conservation, un délai pour leur inventaire et des règles particulières de communicabilité ou de reproduction. Ces conditions sont négociées avant le don entre le donateur et le service d’archives. Ce dernier n’a pas l’obligation de les accepter s’il estime qu’elles « entravent (sa) mission de service public »78.

Le don peut être réalisé sous deux formes légales. Premièrement la donation entre vifs, qui permet de céder des biens de manière gratuite et définitive via un contrat passé devant un notaire entre le donateur et le donataire. Deuxièmement le don manuel, rendu effectif par le transfert matériel d’un bien de la main à la main entre le donateur et le donataire. Cette forme de don est reconnue comme telle par la jurisprudence. Les services publics d’archives en gardent néanmoins des traces écrites pour prouver leur bonne foi. Il peut s’agir d’un contrat de don sous seing privé, ou bien de la correspondance échangée entre le donateur et le service : lettre d’intention de don et lettre d’acceptation du don par le service concerné. Dans tous les cas, en ce qui concerne les services d’archives de l’État et des collectivités territoriales, une procédure d’acceptation doit être validée par, respectivement, le conseil d’État ou l’assemblée élue.

 

b)       Pourquoi choisir le don ?

 

Du point de vue légal, le don d’archives est un transfert de propriété matérielle sans contrepartie. D’après le sociologue Jacques Godbout cependant, la notion de don recouvre « toute prestation de bien ou de service effectuée, sans garantie de retour, en vue de créer, nourrir ou recréer le lien social entre les personnes »79. Contrairement au droit français, il ouvre la possibilité d’une contrepartie bien que « sans garantie », et ajoute au

don une dimension relationnelle. Sa définition du don s’inscrit en effet dans un processus d’échanges théorisé par

 

 

 

 

 

 

 

73 Article 893 du Code civil.

74 Nougaret Christine et Éven Pascal,  Les archives privées, p.81.

75 Les propriétés littéraire et artistique n’étant pas affectées par ce transfert.

76 Article L3111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques.

77 Article L213-6 du Code du patrimoine.

78 Nougaret Christine et Éven Pascal,  Les archives privées, p.83.

79 Godbout Jacques, L’esprit du don, p.32.

 

Marcel Mauss80, et basé sur le triptyque : donner, recevoir, rendre. Nous allons donc tenter d’appréhender le point de vue des donateurs. Pourquoi renoncent-ils à la propriété matérielle sur leurs archives ? N’attendent-ils vraiment aucune contrepartie de cet acte de don ?

 

 

Nous avons précédemment évoqué les raisons qui poussent certains à vouloir confier leurs archives. La conscience d’une échéance déclenche ainsi la volonté de passer le relais. C’est le cas des propriétaires d’archives personnelles ou familiales qui n’ont pas d’héritiers. Ainsi, certains se voient comme le « dernier maillon de la famille »81. Le propriétaire des archives s’interroge alors sur leur devenir après sa disparition. Le don permet d’avoir prise sur ce futur incertain, « afin que ces documents soient préservés dans l’avenir »82, nous confie un répondant. D’après Pascal Tellier83, « c’est une façon pour les gens de maîtriser l’après-eux, d’assurer la continuité de leur mémoire ». Il faut noter que les mêmes réflexions agitent certains propriétaires d’archives ayant pourtant des proches. Dans ce cas, c’est la question de la dispersion d’un fonds par héritage qui peut motiver le donateur. Le don a alors pour moteur un souci de transmission des archives concernées. Il en est de même lors de la cessation d’activités d’une entreprise ou de la dissolution d’une association. Dans ces circonstances, les archives entrent par voie de don. La personne morale propriétaire des archives ayant disparu, transmettre leur propriété à un service d’archives permet d’assurer une continuité. Outre leur conservation matérielle, c’est perpétuer la mémoire d’un individu, d’une famille ou d’une organisation qui importe alors. Joseph Nicolas, donateur lyonnais, l’exprime ainsi : « en ouvrant les archives (sic), j’en ai fait quelque-chose de vivant »84. Donner ses archives serait donc leur assurer une forme d’immortalité ?

Ce poids mémoriel des archives peut par ailleurs pousser certains donateurs à souhaiter s’en affranchir. Donner ses archives revient alors à « tourner la page ». C’est le cas des deux répondants donateurs d’archives professionnelles85. Ayant achevé leur carrière professionnelle, ils choisissent le don pour les archives produites dans ce cadre, comme pour clore cette phase de leur vie. Ainsi, le photographe affirme n’avoir pas eu de contacts avec le service d’archives donataire par la suite. Il explique « qu’à ce jour, le besoin ne s’en est pas fait sentir »86. De même, nous pouvons citer le témoignage de Pascal Dreyer, donateur lyonnais. « Donner ses archives ça vous allège, vous n’êtes plus responsable de la conservation d’un passé précieux »87. Ce passage de relais qu’est le don ne concerne donc pas uniquement la conservation matérielle du fonds. Le donateur transmet aussi une obligation d’entretenir la mémoire des archives concernées. Selon les liens affectifs qui sont en jeu entre le propriétaire et ses archives, il s’agit parfois d’un lourd fardeau. Le don permet alors de s’en libérer, par une

rupture définitive avec ses archives.

 

 

 

 

 

 

 

 

80 Mauss Marcel, Essai sur le don.

81 Réponse à la question 7. Quel a été l’élément déclenchant votre volonté de confier ces archives ?

82 Réponse à la question 15. Pour quelles raisons avez-vous opté pour le don / le dépôt ?

83 Archiviste responsable des fonds iconographiques aux archives départementales de Maine-et-Loire.

84 Archives municipales de Lyon, Des archives pour sauver de l’oubli, 2e partie, 04:26.

85 Voir annexe 5.

86 Réponse à la question 21. Entretenez-vous toujours des liens avec les archives départementales de Maine-et- Loire ?

87 Archives municipales de Lyon, Des archives pour sauver de l’oubli, 2e partie, 3:00.

 

Pourtant,  d’après  Marcel  Mauss,  il  existe  un  «  lien  indissoluble  de  toute  chose  avec  l’originel propriétaire »88. Donner ses archives ne permettrait donc pas de couper tout lien avec elles ? Nous devons alors nous pencher sur le don en tant que créateur de lien entre les personnes. En effet, il ne s’agit pas de se

« débarrasser » de ses archives, mais bien d’en confier la responsabilité à un tiers – ici, l’archiviste. Une relation

 

particulière s’établit alors entre donateur et donataire : « l’un possède une chose de l’autre, et l’autre a été propriétaire de la chose »89. L’archiviste devient le lien qui unit le donateur et ses archives. Une relation subsiste donc, mais les termes en sont modifiés : c’est l’archiviste qui devient l’obligé de ces archives. Sur lui pèsent alors les responsabilités de conservation et d’entretien de leur mémoire.

 

c)       L’après-don

 

Le don n’est donc pas un fait isolé, il est imbriqué dans un processus d’échanges mettant en jeu l’attente d’une contrepartie, désignée par l’expression de « contre-don ». Nous devons alors nous pencher sur les attentes du donateur, qu’il les ait formulées ou non, ainsi que sur le point de vue de l’archiviste. En effet, bien que le don soit effectué au profit d’un organisme tel qu’un service d’archives, l’archiviste qui l’a accompagné se sent donataire du fonds. En tant que tel, il est alors investi d’une responsabilité envers le fonds qu’on lui a confié. Nous pouvons en prendre pour exemple l’objectif que s’est fixée Lydia Dosso90 de rendre les fonds donnés communicables dans un délai maximum de deux ans. Pour cela, elle réalise un instrument de recherche ou, à minima, un récolement. Elle y voit un intérêt pour le fonds, qui est ainsi valorisé, mais aussi pour le donateur, qui a la preuve que son geste n’a pas été vain. Il est en effet de tradition qu’un exemplaire de l’instrument de recherche soit adressé au donateur. Nous pouvons déceler dans cette démarche l’obligation qui pèse sur le donataire d’effectuer un contre- don, qui se matérialise ici par la mise en valeur du fonds.

Du point de vue des donateurs, il est important que leurs attentes se concrétisent. Dans un premier temps, le transfert physique du fonds dans le service d’archives lui garantit sa conservation matérielle. Le second enjeu est d’en assurer la mémoire. Dans ce but, il est fréquent de donner au fonds le nom de son producteur, le faisant ainsi passer à la postérité. Comme nous l’avons constaté, la première action de valorisation d’un fonds par l’archiviste est de le rendre communicable. Cependant, comme l’a remarqué Bénédicte Grailles, « le besoin d’un après-don […] dépasse l’envoi d’un instrument de recherche »91. Par ses actions, l’archiviste doit donc confirmer son intérêt pour le fonds, afin de conforter le donateur dans le bien-fondé de son don. Il peut s’agir de contacts avec le donateur lorsque celui-ci doit fournir son accord pour la communication du fonds – les modalités en sont définies lors de la rédaction du contrat de don. La numérisation, puis la mise en ligne des documents, ou l’organisation d’une exposition peuvent suivre. Ces actions ne sont pourtant pas réalisées dans l’immédiat après- don, « le temps est nécessaire pour exercer une contre-prestation »92.

C’est en cela que réside la nature si particulière du don : l’incertitude d’obtenir une contrepartie. Il s’agit

 

d’un acte de confiance sans pareil, qui a pour objet de confier à un tiers une chose de valeur – ici ses archives –

 

 

 

 

 

88 Mauss Marcel, Essai sur le don, p.219.

89 Mauss Marcel, Essai sur le don, p.214.

90 Archiviste responsable des archives privées aux archives départementales de Maine-et-Loire.

91 ALMA, Don d’archives, don de soi.

92 Mauss Marcel, Essai sur le don, p.138.

 

sans garantie d’un retour. C’est par ailleurs l’acte de contre-don du donataire qui scelle la confiance entre les deux parties : la prise de risque de l’un a été récompensée par les actes de l’autre. Nous pouvons alors nous interroger sur la différence entre le don et le dépôt. Le déposant confie ses archives, mais en conserve la propriété matérielle. S’agirait-il donc d’une étape intermédiaire vers le don, comme certains l’avancent ?

 

3.3.   Le dépôt d’archives

 

a)       Modalités légales

 

D’après l’article 1915 du Code Civil, « le dépôt […] est un acte par lequel on reçoit la chose d’autrui, à charge de la garder et de la restituer en nature. » Pour un propriétaire d’archives, il s’agit donc de les confier à un tiers, tout en ayant la garantie qu’elles lui seront restituées en l’état s’il le souhaite. Contrairement au don , le déposant conserve la propriété matérielle sur ses archives. Cela implique par ailleurs que l’utilisation du fonds déposé – communication, numérisation, exposition – est soumise à l’autorisation du déposant. Lorsque celui-ci n’est pas joignable, le contrat de dépôt peut désigner un mandataire qui « assurerait l’intérim »93 - directeur ou directrice du service d’archives par exemple –, évitant ainsi de paralyser le fonds. Dans le cas d’archives déposées dans un service public d’archives, elles bénéficient du « régime général contre les actes de malveillance institué en faveur des collections publiques (articles 322-1 et 322-2 du Code pénal) »94.

Outre l’absence de transfert de propriété matérielle, la particularité du dépôt sur les autres modes d’entrée des archives privées est son caractère révocable, tant par le dépositaire que par le service d’archives. Il en va de même pour toutes les clauses du contrat de dépôt, qui peuvent être dénoncées ou renégociées par les parties à tout moment. Par ailleurs, il faut noter que le dépôt est imprescriptible, il n’est donc pas annulé par le décès du déposant, et ses héritiers peuvent revendiquer les archives concernées sans limite de temps. Ils ont le choix de poursuivre ou dénoncer le dépôt. Cela en fait une forme de transfert « fragile »95. Les services d’archives veillent donc à mentionner clairement les conditions de dénonciation du dépôt dans le contrat : délai de restitution du fonds, production de supports de substitution et remboursement des frais engagés sont les clauses les plus courantes96.

Le déposant peut imposer des conditions au dépôt de ses archives, de même que dans le cas du don. En effet, d’après le Code du patrimoine, « les services publics d'archives qui reçoivent des archives privées à titre de […] dépôt sont tenus de respecter les stipulations du […] déposant quant à la conservation et à la communication de ces archives »97. En la matière, les mêmes modalités s’appliquent donc à ces deux formes de transfert. C’est aussi le cas de la procédure d’acceptation du dépôt par les services d’archives de l’État et des collectivités

territoriales.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

93 Association des archivistes français, Abrégé d’archivistique, p.28.

94 Nougaret Christine et Éven Pascal,  Les archives privées, p.94.

95 Nougaret Christine et Éven Pascal,  Les archives privées, p.96.

96 Association des archivistes français, « Modèle de contrat de dépôt », dans Abrégé d’archivistique, p.30.

 

b)       Pourquoi choisir le dépôt ?

 

Le déposant choisit donc de confier ses archives à un organisme, tout en en conservant la propriété matérielle. En ce sens, le dépôt est souvent considéré comme « une première étape vers le don »98 qui, lui, inclut le transfert de la propriété matérielle. Comme nous l’avons constaté précédemment, la même volonté de confier ses archives anime donateurs et déposants lorsqu’ils prennent contact avec le service d’archives. Le dépôt ne serait donc pas une modalité de transfert d’archives à part entière ? Nous allons tenter de répondre à cette question en étudiant les raisons de ce choix et ses enjeux. Pour cela, les répondants ont été interrogés sur leur choix de l’une ou l’autre de ces modalités de transfert99. Il apparaît que les déposants accordent une grande importance à la propriété matérielle de leurs archives, mais aussi au caractère révocable du dépôt.

 

 

Dans le cas d’archives personnelles et familiales, la démarche de transfert vers une institution réside en partie dans le désintérêt des proches. Pourtant une répondante, déposante d’archives familiales, explique ainsi son choix du dépôt : « dans l'hypothèse d'une demande de récupération familiale de ce document par des descendants ». Bien consciente de la situation actuelle de ses archives, elle n’en a pas moins renoncé à l’espoir que, dans le futur, un proche souhaite en prendre la charge. Le caractère révocable du dépôt lui assure donc la possibilité de, finalement, confier ses archives à un proche. De même, en conserver la propriété matérielle est essentiel. Ainsi, au décès du déposant, ses héritiers sont interrogés sur le devenir des archives déposées. Le déposant peut donc y voir l’occasion de questionner ses héritiers sur leur lien avec le fonds, ainsi que sur leur responsabilité envers lui. De ce fait, le déposant garantit l’entretient de la mémoire des archives concernées à l’intérieur du cercle familial. Nous pouvons ainsi voir le signe d’un fort attachement du propriétaire à ses archives. Il transparaît d’autant plus dans la volonté d’en conserver la propriété matérielle. Comme nous l’évoquions précédemment, il faut que le propriétaire ait pris du recul envers ses archives pour envisager de les confier. Il est donc à supposer que les donateurs ne se soient pas suffisamment éloignés de leurs archives pour se défaire du lien de propriété matérielle qui les unit.

En ce qui concerne les associations et organismes apparentés, nous avons pu constater qu’en cas de

 

dissolution, leurs archives sont transférées sous forme de don. Au contraire, lorsqu’une association est encore en activité, c’est la modalité du dépôt qui est choisie. La répondante responsable du dépôt d’archives cultuelles l’exprime ainsi : « puisque la Congrégation souhaitait conserver la propriété de ses archives, nous avons opté pour un dépôt révocable plutôt qu’un don. Ainsi, nous pouvons exercer un certain contrôle sur l’avenir de nos archives »100. Nous y retrouvons donc bien les deux caractères du dépôt : il est révocable et n’inclut pas le transfert de la propriété matérielle.

 

 

Le service d’archives dépositaire ne serait-il alors perçu que comme un lieu de stockage sécurisé ? Comme

 

nous l’avons précédemment évoqué, les problèmes d’encombrement que peuvent causer les archives alimentent

 

 

 

 

 

 

98 Master 2 « Métiers des archives » de l’université d’Angers, Le don : une approche renouvelée des archives privées [compte-rendu des interventions de la journée d'étude du 11 février 2011, Angers].

99 Voir annexe 5.

100 Réponse à la question 15. Pour quelles raisons avez-vous opté pour le don / le dépôt ?

 

la volonté de les confier. De plus, un service d’archives leur garantit de bonnes conditions de conservation et ce, gratuitement. Nous pourrions donc être tentés d’y voir un simple intérêt personnel de la part du déposant. Bien que les services d’archives se prémunissent d’une telle situation à travers les clauses de restitution du fonds101, il est rare qu’il s’agisse de cela.

 

 

Les déposants expriment, à travers leurs témoignages, une volonté commune de partage de leurs archives. Ainsi, la conscience de leur intérêt collectif anime en eux une obligation de les rendre publiques : le

« devoir de mémoire » évoqué par une répondante102. Les déposants attachent donc une forte valeur personnelle à leurs archives, mais n’en sont pas moins conscients de leur valeur aux yeux de la collectivité. Permettre un accès à ces fonds au plus grand nombre leur confère une valeur que leur propriétaire n’aurait pas été en mesure de leur apporter. Reprenons ainsi cette réflexion de Marcel Mauss sur la nourriture, en la transposant aux archives.

« Il est de la nature (des archives) d’être partagée(s) ; ne pas en faire part à autrui c’est "tuer (leur) essence", c’est (les) détruire pour soi et pour les autres »103. Bien que fortement attachés à leurs archives, les répondants aboutissent donc au raisonnement suivant : mieux vaut des archives conservées par un tiers, mais utiles à la collectivité, que des archives conservées auprès de soi, mais inutilisées.

Nous pouvons donc considérer que le propriétaire, en déposant ses archives, réalise une forme de don. Il ne donne pas ses archives, mais les rend publiques. En permettant au service d’archives de les utiliser, le déposant ne peut être certain de la manière dont les informations contenues dans ses archives seront interprétées. De ce fait il prend un risque, bien que restreint104, dont il ne pourra être « libéré » que par un contre- don. Celui-ci consiste en une valorisation positive des archives déposées, mise en œuvre par l’archiviste, conscient de cet enjeu. Prenons-en pour exemple cette intervention de Bénédicte Grailles : « il faut donc mettre en ordre les documents, rendre le fonds présentable et donner une image valorisante du producteur. Si ce n'est pas le cas, on risque de violentes réactions de la part des donateurs (ou déposants) »105.

 

c)       L’après-dépôt

 

À travers cette volonté de partage, nous pouvons dire que le dépôt se rapproche du don. Les actions de valorisation liées aux archives déposées n’en sont pas moins importantes que dans le cas du dépôt. La place de l’archiviste entre le propriétaire et ses archives diffère cependant sensiblement. Ainsi, l’après-don consiste en des contacts ponctuels avec le donateur : envoi de l’instrument de recherche et invitation à une exposition relative au fonds donné, en sont les principaux motifs. À long terme, les contacts deviennent moins fréquents, voire disparaissent totalement. Le donateur n’en ressent plus le besoin : il s’est détaché émotionnellement de ses

archives.

 

 

 

 

 

 

 

 

101 Voir « Modalités légales » ci-dessus, p.24.

102 Réponse à la question 19. Que représentent pour vous ces archives ?

103 Marcel Mauss, Essai sur le don, p.203.

104 Le déposant a la liberté d’autoriser ou de refuser l’utilisation de ses archives au cas par cas.

105 Master 2 « Métiers des archives » de l’université d’Angers, Le don : une approche renouvelée des archives privées [compte-rendu des interventions de la journée d'étude du 11 février 2011, Angers].

 

Dans le cas du dépôt, l’archiviste reste en contact avec le déposant sur la longue durée. En effet, l’utilisation du fonds est soumise à son autorisation, l’archiviste responsable doit donc régulièrement le solliciter. Il faut signaler que d’après les archivistes interrogés, la plupart des déposants acceptent toujours , et avec grand plaisir, ces sollicitations. Cette « formalité » revêt néanmoins une importance particulière aux yeux des déposants. De cette manière, ils s’assurent de l’intérêt porté à leurs archives par leur lieu de conservation et par ses lecteurs. Il s’agit pour eux d’un moyen de suivre la « vie » de leurs archives, de garder le contact avec elles. Nous pouvons prendre l’exemple de la répondante, responsable du dépôt d’archives cultuelles, qui s’exprime ainsi : « la direction des archives reconnaît la valeur de nos archives et les met en évidence à l’occasion »106. Elle détaille ensuite les actions de valorisation réalisées autour du fonds : instrument de recherche, numérisation, publication et nombreux exemples de communications, notamment à des chercheurs. La précision de sa réponse reflète un souci de suivre l’actualité des archives déposées.

Il s’agit là d’une particularité du dépôt. L’archiviste est responsable de la conservation physique et mémorielle des archives, mais n’en est pas le seul acteur : le propriétaire des archives est toujours présent. Nous pouvons donc considérer que l’archiviste devient le lien entre les archives déposées et la collectivité. Au contraire, dans le cas du don, l’archiviste devient le lien qui unit le donateur et ses archives. La relation entre l’archiviste et le déposant est donc spécifique à ce mode de transfert. À travers cela, nous pouvons donc dire que le dépôt ne participe pas du même mécanisme que le don. Il semble donc que le dépôt soit une modalité de transfert

d’archives à part entière, animé par des enjeux spécifiques.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

106 Réponse à la question 17. Vos archives ont-elles été valorisées depuis leur arrivée dans le service ?

 

 

 

Conclusion

 

Nous avons vu que la volonté de confier ses archives a pour source commune la prise de conscience de leur intérêt collectif publique. Elles sont des sources pour écrire « l’histoire avec un grand "H" ». Au-delà de la valeur historique des archives, les raisons des déposants et donateurs sont multiples. Elles dépendent pour partie de la nature du fonds et le son propriétaire. Les particuliers cherchent un futur pour leurs archives personnelles ou familiales après leur décès, tandis que les érudits et professionnels songent à « tourner la page » après un travail spécifique – sujet de recherche – ou à la fin de leur carrière professionnelle. Des événements extérieurs, tels qu’inondations ou déménagements, peuvent amener les propriétaires à douter de leur capacité à conserver leurs archives.

 

 

Réaliser la démarche de confier ses archives à un service public d’archives n’est ni automatique ni anodin. Il s’agit fréquemment d’un « dernier recours » après avoir sollicité les proches des archives – membres d’une famille, d’une association. Hors de ce cercle proche, le propriétaire d’archives doit recréer un climat de confiance. Le choix d’un lieu de don ou dépôt adapté est donc primordial. À travers l’exemple des archives départementales de Maine-et-Loire, nous avons pu dresser le profil-type du service d’archives idéal. Il doit pouvoir garantir la conservation physique, mais aussi la valorisation des archives. L’intérêt manifesté par le service pour le fonds proposé est donc essentiel, de même que la création d’une relation de confiance entre l’archiviste interlocuteur et le déposant ou donateur.

 

 

Nous avons pu identifier les trois éléments majeurs du processus de don et de dépôt : le propriétaire, ses archives, et l’archiviste. C’est ce dernier qui a pour mission d’accompagner le propriétaire vers un choix éclairé entre le don et le dépôt. Le choix du don marque une rupture entre le propriétaire et ses archives. Par le transfert de leur propriété matérielle, il peut se détacher émotionnellement de ses archives, dont il n’a plus la responsabilité. Suite à un don, les responsabilités de conservation physique et mémorielle du fonds passent donc à l’archiviste. Engagé dans la relation de don, il devient l’obligé du donateur, et sent le besoin de lui prouver qu’il exerce bien ses responsabilités envers le fonds. La contrepartie au don, le contre-don, se matérialise par les actions de valorisation du fonds. Le choix du dépôt repose sur sa réversibilité, ainsi que sur le non transfert de la propriété matérielle des archives. Le déposant peut ainsi rendre publiques ses archives tout en exerçant « un certain contrôle sur leur avenir »107. Une relation sur la longue durée s’établit alors entre le déposant et l’archiviste, qui lui transmet les demandes d’utilisation de ses archives. Par ce suivi, le déposant s’assure de l’utilité effective du fonds. L’archiviste et le déposant sont donc tous deux acteurs du devenir des archives déposées. Dans cette relation particulière, l’archiviste fait alors le lien entre les archives et la collectivité.

 

Confier ses archives à un service public d’archives n’est donc pas un acte totalement désintéressé ni gratuit. Elles contribuent alors à la mémoire collective et acquièrent ainsi le statut d’archives d’intérêt public. La contrepartie au don ou au dépôt réside dans la reconnaissance de la valeur de ces archives, valorisant par là

 

 

 

 

107 Réponse à la question 15. Pour quelles raisons avez-vous opté pour le don / le dépôt ?

 

même leur propriétaire. Ces deux modalités de transfert participent pourtant de deux démarches bien distinctes. Elles se traduisent par les liens qui animent, après le transfert, le propriétaire, ses archives, et l’archiviste.

Ultimo aggiornamento

22.10.2021

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